Suis-je ce que mon passé a fait de moi ?

 

Les récents faits divers et attentats mettent encore une fois les notions d’identité, de déterminisme et de libre-arbitre en lumière. Le passé de leurs protagonistes, « meurtrier » ou « victime », « terroriste » ou « héros », est étalé dans les médias, invitant chacun à se poser des questions sur leur trajectoire.

 

Qu’est ce qui fait qu’un individu bascule dans la violence ? Est-ce lié à son passé, sa culture, son éducation ou d’éventuels traumatismes de l’enfance ? Est-il responsable de ses actes ou a-t ’il été victime d’un accès subite et incontrôlable de folie ? Etait-il manipulé ? Pouvait-il faire autrement ? Peut-il changer ? Pourra-il changer, même une fois sa peine purgée ? Et au contraire : Qu’est-ce qui transforme un homme « ordinaire » en « héros » ? Qu’est ce qui fait que certains sont prêts à sacrifier leur vie pour autrui, pour leur patrie ou pour leur foi, comme l’a fait Arnaud Beltrame? Comment ont-ils construit un socle de valeurs si fort, une certitude si ancrée de ce qui est juste ou pas, qu’ils font le choix, si vite, en pleine conscience, de risquer leur vie ?

 

Si le passé d’un individu est évidemment constitutif de son identité et détermine en grande partie ses croyances et réactions, il me semble qu’il reste fondamentalement libre de ses choix et peut donc s’affranchir de son passé en l’analysant et le réinterprétant, seul ou avec une aide extérieure.

 

Un peu de recul et un peu de philo en ce changement de saison...

 

Mon passé est constitutif de mon identité et la détermine fortement

 

Par essence, l’identité d’un individu repose sur la temporalité. Comment savoir qui je suis sans la comparaison à un point de départ qui prouve que je suis moi, encore et toujours, ou sans la comparaison aux autres, qui me rend unique, digne d’estime, de désintérêt ou, au contraire, de rejet. De la naissance à la mort, en passant par l’enfance, l’adolescence ou la vie adulte, tout évènement -joyeux ou douloureux, attendu ou surprenant, choisi ou subi- est l’occasion de former des expériences, des croyances, des apprentissages, des systèmes d’appartenance, constitutifs de notre identité. Ainsi, les réflexes automatiques du présent comme les désirs ou les craintes en l’avenir trouvent leur fondement dans le passé : « La conscience est un trait d’union entre ce qui a été et ce qui sera, un pont jeté entre le passé et l’avenir » (Bergson).

 

Si pour Kant, l’identité est également reliée à la conscience, conscience d’être soi, capable de se percevoir tout entier, capable de convoquer des pensées, capable de juger, de se juger, capable d’actes répétés ou innovants, certaines réactions peuvent être reliées à l’inconscient. C’est souvent le cas pour les phobies ou les délires. Et ces réactions deviennent, si elles se répètent, constitutives de l’identité de la personne ; d’abord, pour son entourage familial ou médical, et au final, bien souvent, pour la personne elle-même. Combien de personnes arrivent en consultation en assénant : « Je suis bipolaire » ou « Je suis phobique ».

 

Car le passé, construit consciemment ou inconsciemment, détermine grandement le présent d’un individu, tant d’un point de vue social (sa culture, son pays, sa langue, son éducation, sa religion ou absence de religion) que personnel (ses apprentissages, ses croyances, ses valeurs ou anti-valeurs). Les philosophes stoïciens, et parmi eux Epictète, l’avaient déjà souligné mais Spinoza le résume bien ainsi : « Les hommes se trompent quand ils se croient libres ; cette opinion consiste en cela seul qu’ils sont conscients de leurs actions mais ignorants des causes par lesquelles ils sont déterminés ». Si certains, comme Durkheim, ont privilégié le déterminisme social au déterminisme individuel, Freud, de son côté, a insisté sur la relation personnelle qu’entretient l’enfant avec ses parents et les conséquences inconscientes de cette relation sur la vie future de l’enfant, dont le fameux « complexe d’Œdipe ».

 

La découverte et le décodage de l’ADN ainsi que la mise à jour de prédispositions génétiques à des hauts potentiels ou à des forts risques pathologiques a encore renforcé cette idée d’un déterminisme prononcé, les traumas graves pouvant apparemment altérer les gènes. 

 

 

Mais si mon passé détermine mon présent et mon futur, suis-je libre de choisir mon existence ? Quel est mon degré de responsabilité ?

 

La liberté est au fondement de la nature humaine

 

Descartes l’a explicité tôt : « Il est si évident que nous avons une volonté libre, qui peut donner son consentement ou ne pas le donner, quand bon lui semble, que cela peut être compté pour une de nos plus communes notions ».

 

En effet, on le constate parfois dans notre entourage : certaines personnes d’un naturel timide, qui n’osaient jamais dire à leur famille ce qu’ils avaient sur le cœur pour éviter tout conflit ou abandon peuvent basculer du jour au lendemain et, parfois sous le coup de la colère ou d’un Xième espoir déçu, les affronter et même couper les ponts. Personne, même eux, n’aurait pu le prévoir.

 

Sartre précise : « Il n’y a de liberté qu’en situation et il n’y a de situation que par la liberté ».

En effet, le contexte est souvent fondamental dans l’expression du libre-arbitre, notamment dans les situations d’urgence ou les situations dramatiques. C’est ce qui a amené certains, dans les années 30 & 40, à basculer dans le nazisme et d’autres, au contraire, à résister ; et, pour une partie des derniers, à résister, contre toutes attentes, au sein de familles favorables au nazisme. C’est aussi ce qui fait que certains, dans une même fratrie, choisissent ou pas de rejoindre des camps d’entraînement de Daech au Moyen-Orient.

Dans un autre registre, l’effet spectateur est un phénomène psycho-social qui illustre la moindre probabilité d’être secouru, en cas d’urgence, en fonction du nombre de personnes témoins de la scène. Plus il y a de témoins et moins la victime risque d’être secourue à cause, entre autres, d’une dilution de leur responsabilité. Et pourtant, malgré cette « règle statistique », certaines personnes réagissent et contrent l’agresseur, faisant ainsi basculer les autres témoins pour défendre la victime. Ces personnes, quand on les interroge, ont généralement une bonne connaissance d’eux-mêmes, de leurs compétences, de leurs émotions, couplée à un socle de valeurs et d’anti-valeurs très solide et des croyances souvent aidantes.

 

 

Je suis ce que je fais de mon passé

 

Si on ne choisit pas son passé, à chaque instant, on peut choisir ses actes : choisir de se comporter comme ses parents, ses frères et sœurs, ses amis, ses voisins, ses collègues … ou différemment. Chacun se construit généralement en « filiation » ou en « opposition » à sa « famille » au sens large; et souvent en mélangeant un peu des deux selon les contextes.  Et ces choix font sens : si certaines personnes reproduisent les violences reçues de leurs parents sur leurs enfants, la majorité ne reproduira pas. Et ceux qui ont la chance ou font le choix de se faire aider auront encore moins de chance de reproduire ces violences. 

 

Finalement, le poids donné au passé, son interprétation et son impact sur le quotidien d’une personne sont relatifs et mouvants. La psychothérapie en est l’un des révélateurs. La meilleure compréhension des schémas répétitifs du passé par la psychanalyse, la réinterprétation de souvenirs douloureux par l’hypnose, la gestion des phobies par la double dissociation en PNL (Programmation Neuro-Linguistique) ou le ré-encodage de certains souvenirs traumatiques par l’EMDR (Eye Movement Desensitization and Reprocessing) ou l’IMO (Intégration des Mouvements Oculaires) permettent à ceux qui le souhaitent de se libérer d’un passé trop lourd.

  

 

Même le caractère héréditaire de certaines pathologies, comme la schizophrénie, peut être questionné. Face au caractère définitif et biochimique du diagnostic de schizophrénie qui prévalait, Grégory Bateson a avancé la notion de « double-contrainte » dans les années 50. Les hallucinations de type schizophrénique seraient le plus souvent le résultat d’un apprentissage fait pendant l’enfance et qu’il faudrait donc déconstruire : dans un environnement contraint (par exemple la famille pour un petit enfant), tout individu qui recevrait des injonctions hautement contradictoires sur la durée, tant d’un point de vue explicite (par exemple, viens m’embrasser) qu’implicite (chaque fois que l’enfant s’approche de sa mère, il est battu) aura tendance pour survivre, et si le suicide n’est pas une option, à se créer un nouvelle réalité plus « vivable » ; et cette réalité durera jusqu’à ce qu’elle soit rendue « superflue ». La guérison de certains schizophrènes par la thérapie stratégique systémique de Palo Alto a mis en lumière la frontière ténue qui existe parfois entre un déterminisme excessif et la liberté de changer le sens donné à un passé dysfonctionnel. Une liberté néanmoins relative puisque la plupart des thérapies en question n’ont pas commencé à l’initiative des patients mais de leur famille ou de leur psychiatre.

 

Sartre fait parfaitement le lien entre la notion de libre-arbitre et le sens qu’on peut donner à son passé et donc à sa vie : « La réalité humaine rencontre partout des résistances et des obstacles qu’elle n’a pas créés ; mais ces résistances et ces obstacles n’ont de sens que dans et par le libre choix que la réalité humaine est ».  Je trouve que Frédéric Lenoir lui répond bien : « On ne progresse pas malgré les épreuves et les difficultés quotidiennes mais grâce aux épreuves et difficultés quotidiennes. Les obstacles sont des marches qui nous font monter ».

 

Conclusion

 

En ce sens, malgré le rôle incontestable de notre passé sur notre identité, nous restons libres de le réinterpréter et, ainsi, de façonner notre présent et orienter notre futur à chaque fois que nous prenons une décision et posons un acte, comme une renaissance perpétuelle.

 

Si l’aide extérieure d’un psychothérapeute peut nous y aider, encore faut-il accepter de consulter et s’engager pleinement dans la thérapie. Force est de constater que ce n’est pas toujours le cas.

 

Moins d’un tiers des français reconnaissent consulter ou avoir consulté un psy pour une thérapie courte ou de longue durée. Ce chiffre chute drastiquement chez les hommes. Et si certains patients sont assidus dans le suivi de leurs séances, cela ne signifie nullement qu’ils sont déjà prêts à amorcer un changement comportemental. Les habitudes, même si elles créent de la souffrance, sont parfois plus rassurantes que l’inconnu. La liberté consiste aussi à choisir d’être ce que notre passé a fait de nous, sans prendre le risque de se pencher sur celui-ci et sans se poser de questions existentielles. Si cela peut être frustrant pour le thérapeute, il n’en reste pas moins que c’est un choix respectable, et donc à respecter…

 

 

Si vous souhaitez consulter, n’hésitez pas à prendre RV.

  

 

Carole Aubert, Cabinet paramédical au 1er étage, 71 boulevard de Sébastopol, 75002 Paris