Les médias sociaux, régulateurs d’émotions collectives

Les médias sociaux, régulateurs d’émotion collectives Carole Aubert Psy à Paris

L’incendie de Notre Dame a créé une grande vague de tristesse en France et à l’étranger. Le fait que l’incendie puisse être suivi en direct, de son début jusqu’à sa fin, avec la crainte de perdre tout l’édifice, a accentué l’émotion ressentie. Cela rappelle bien sûr les attentats de Paris ou de Charlie Hebdo. Mais d’autres événements, plus « prosaïques », comme le décès d'une célébrité, ont aussi été l’occasion de déferlement d’émotions sur la toile ou dans les réseaux sociaux.

 

Ce dernier événement est l’occasion de revenir sur l’article de Didier Courbet, Marie Pierre Fourquet-Courbet et Audrey Marchioli : Les média sociaux, régulateurs d’émotions collectives : phénomènes sociaux médiatiques extraordinaires et conscience collective virtuelle, publié en 2015, et d’y apporter quelques réflexions personnelles.

 

Comment les individus réagissent-ils en cas de phénomène émotionnel majeur ? Qu’est-ce que l’apparition d’internet et des réseaux sociaux a changé ? Quel est l’impact des réseaux sociaux en cas d’émotions collectives fortes ? Cet impact est-il le même selon le type de personnalité des individus ? Est-il positif ou négatif ?

 

 

Les auteurs rappellent en préambule quelques enseignements en sociologie et psychologie.

 

Le sociologue Emile Durkheim avait déjà souligné que « pour gérer un phénomène émotionnel majeur, les sujets sociaux éprouvent le besoin […] de communiquer, de vivre collectivement leurs émotions et de se référer à une conscience collective […]. Bernard Rimé, docteur en psychologie, a, pour sa part, expliqué que « lorsqu’une personne se trouve devant des phénomènes émotionnels négatifs majeurs auxquels elle ne peut pas faire face individuellement, elle éprouve le besoin phénoménologique, pour leur donner du sens, de se référer à une « conscience collective » […], d’interagir et de communiquer avec les autres, de participer activement à des rituels sociaux et de les vivre collectivement […].

 

 

Petite parenthèse sur les réseaux sociaux numériques…

 

Par le passé, les réseaux sociaux « réels » jouaient déjà ce rôle (rituels liés aux décès, commémorations de guerres, actions solidaires en cas de catastrophe…).  Les réseaux sociaux numériques sont venus bouleverser la donne. Par leur accessibilité bien sûr, mais aussi leur immédiateté, par le poids qu’ils accordent aux images et aux vidéos, et enfin, par leur caractère global. L’accessibilité car on peut suivre l’événement partout et à tout moment, sur son téléphone. L’immédiateté car on peut le suivre en direct comme dans le cas de l’incendie de Notre Dame ou de la prise d’otages de 2015. Le poids des images et des vidéos qui permettent de ressentir encore plus vite les émotions comme si l’on y était. La globalité car on est désormais au courant de tous les événements à forte charge émotionnelle partout sur la planète (attentats du World Trade Center, attentats de Paris, catastrophe de Fukushima, séisme en Haïti…).

 

Les auteurs postulent que les médias sociaux et les réseaux sociaux numériques participent à réguler les émotions collectives selon 5 processus, et que cette régulation est différente selon l’identité sociale des personnes concernées. Au-delà de la revue d’autres études, ils ont étudié les réactions des « fans » lors du décès de Michael Jackson.

 

Les 5 processus de régulation émotionnelle via les réseaux sociaux numériques auxquels ils font référence sont les suivants

  • Un réconfort et un sentiment de réassurance car les réseaux sociaux satisfont un besoin d’affiliation et d’appartenance et créent un véritable soutien social.
  • La production d’une réalité, d’un sens et d’une « normalité » à l’événement : l’événement a vraiment eu lieu, son origine et son déroulé sont investigués et partagés (qu’est ce qui s’est passé ?), les suites de l’événement sont débattues à la lecture d’événements similaires du passé (comment va être ma vie désormais ? comment les autres ont fait par le passé ?), et la normalité des émotions ressenties est renforcée (d’autres que moi ressentent la même chose).
  • Une incitation à l’action (création de témoignages : écrits, textes, vidéos, rassemblements, création de groupes…) pour ne pas rester dans l’inactivité, comme souvent, à la suite d’un deuil.
  • L’individualisation du vécu du processus de deuil : l’accès aux réseaux sociaux numériques, sur les téléphones notamment, donne l’occasion d’avoir un lien au défunt ou à l’événement en permanence, quel que soit l’endroit où l’on se trouve où le moment. Selon l’étape du deuil où l’individu se trouve, il peut choisir de rester connecté à l’événement ou de reprendre le cours de sa vie.
  • La possibilité des individus de sortir de l’anonymat, de laisser une trace personnalisée et « durable » sur les médias sociaux.

 

Le rôle de l'identité individuelle ou groupale des fans sur la régulation émotionnelle via les réseaux sociaux numériques

 

Leur étude a aussi constaté que, dans le cas du décès d’une célébrité, l’identité des fans est atteinte. Or, la régulation des émotions via les réseaux sociaux numériques ne va pas être la même selon que l’identité des fans est plutôt groupale ou plutôt individuelle. Ceux qui s’identifient comme appartenant au groupe des fans font leur « deuil » plus rapidement que ceux qui s’identifie à la célébrité décédée.

 

Si l’on reprend le cas du décès d’une célébrité, pour les fans à identité groupale, le problème identitaire à régler est : « Le groupe des fans existera t’il toujours ? Vais-je toujours pouvoir y appartenir ? » Et les médias sociaux semblent le confirmer. Cela contribue donc favorablement au processus de réagencement identitaire. Pour les   fans à identité individuelle, dans la mesure où ils définissent leur identité personnelle en fonction d’attributs personnels, souvent non partagés par les autres fans, cela peut freiner le réagencement. Ils auront tendance à retourner beaucoup plus souvent et plus longtemps sur les réseaux sociaux à la recherche d’émotions négatives. Ils peuvent même rallonger ce temps bien au-delà de ce que des rituels dans la vie réelle permettraient.

 

 

Conclusion

 

En conclusion, les réseaux sociaux peuvent contribuer positivement à réguler les émotions collectives en cas de phénomènes très chargés émotionnellement, mais le risque est que certaines personnes, en restant trop souvent et trop longtemps connectés à l’événement, ne reprennent pas le fil de leur vie. Réguler sa connexion aux réseaux sociaux et choisir de se déconnecter des médias sociaux, passé un certain cap, est donc souhaitable. La tristesse, la colère et la peur sont des systèmes d’alerte efficaces pour notre bien-être, à condition de ne pas être saturés. Travailler sur ses émotions est donc souhaitable pour avancer sereinement dans la vie.

 

Par ailleurs, ces événements à forte charge émotionnelle sont souvent l’occasion de redonner un sens à l’événement et de remonter à des valeurs fondamentales. Les caricaturistes sont souvent, me semble-il, ceux qui vont permettre de prendre du recul face à l’événement. Pour illustration, voici quelques exemples de dessins créés spontanément suite à l’incendie de Notre Dame ou aux attentats de Paris.

 

 

Si vous souhaitez consulter suite à des événements à forte charge émotionnelle, personnelle ou collective, que vous n’arrivez pas à gérer seul(e), n’hésitez pas à prendre RV.

 

 

 

Carole Aubert, Cabinet paramédical au 1er étage, 71 boulevard de Sébastopol, 75002 Paris 

 

Incendie de Notre Dame, dessins de Dario, Bruno Marty, Aurélie Pedrajas, Cristina Corea et Plantu

Attentas de Charly Hebdo, dessins de Marianne Duverdier, Stéphane Moussin, Rob Tornoe, Herné Pinel, Laurent Salles et Battistim